... et moi j'écrase mes mots humides

dans le cendrier d'un bleu acharné
.

extrait de : "J'écrase" dans La Nuit Remuée

par EZ

vendredi 4 septembre 2009

La première gorgée

JE, fuit la lumière à la vitesse de l’obscurité. Parce que - il faut bien l'écrire- , JE souffre d'une psychose qui s'aggrave JE déteste le jour actif et son spectacle de pantins. JE passe sa tête en mode automatique, se cache, se translucide. Il a créé ELLE CARAPACE pour pouvoir penser aux mots et stopper son effacement. Sa transparence, le flou glauque de ce monde, pourraient être la racine qui rend tout insipide- inodore- lisse Il y a longtemps qu'il n'y a plus de courant dans le bocal. Alors, oui, JE s'interroge : l’Absence du Mot, celle qui le fait tant souffrir, d’où sort elle, comment l’a-t-elle repéré, lui, simple JE, comment lui a t elle été inoculée. ??? JE ne le sait pas, aujourd'hui, il s'en fiche éperdument Il est en manque Il veut sa dose. JE s'amuse avec sa mémoire. JE ouvre quelques tiroirs en douce et laisse à ELLE le soin d'occuper la scène. Je doit tenir, résister. Cela l'amuse de troubler ELLE avec des échos, des réverbérations, des murmures, des glissements de mots qu'il cultive avec soin et préméditation.

Elle Carapace continue à vaquer. (Vaquer c’est bien et surtout, c'est à sa portée - c’est mieux que vague sur la terre ferme, illusion de mouvements futiles, poudre à justifications, mirages mercantiles) La matinée s'attarde. JE, se glisse dans l'ailleurs, insaisissable, mâchouillant, pour tromper le temps, des mots sans suite, des mots étrangers, des mots de velours, des mots découverts, aimés, à son goût. D'habitude, cela suffit mais JE veut plus.

Quand soudain, alors qu'ELLE transporte dans un autre bocal des feuilles non justifiées, ELLE se retrouve seule et son oeil aperçoit, couchée là sur la table, La Première Gorgée de Bière L' étrange oubli d’un usager du bocal où aucun JE aussi aventurier et courageux fut-il , ne se risquerait... Une erreur d’aiguillage, un transfert interrompu, un clin d'œil du destin. Ignore, se murmure t elle, c'est un piège.
Bien qu'en mode off, JE ne sait pas résister à la fraicheur de la vision C’est qu’il fait soif . JE a la bouche sèche, un effet secondaire, premier symptôme d'un manque incoercible. Dès que Elle a tourné le dos à la tentation, occupée à ordonner les surfaces JE prend la main.

Il commet un délit aujourd’hui à 12h01 JE part avec sa première gorgée de bière qui ne lui appartient pas. Je n’a rien avoué, rien réglé à l'avance. JE ne se sent pas coupable. Je a oublié l’angoisse, la faim, la douleur, le vide, le manque. JE a tout avalé d'un trait.
A 13h25, Elle a reposé dans le bocal, la zone aux feuilles non justifiées, La Première Gorgée de Bière Elle est perplexe. Elle ne se souvient pas comment cette gorgée, qu'elle a pourtant ignorée comme improbable ou trop risquée, a pu atterrir dans sa main et se transformer en plaisirs minuscules mais jouissifs. Elle devrait vaquer. C’est son rôle. C’est son destin. Troublée, Elle baisse la tête. Elle en a marre d’être Elle. Elle se sent creuse. Elle vérifie qu'elle n'est pas une carapace rouillée mais bien réfléchissante. Tout est en ordre et rien ne va plus. Elle se sent enceinte d'un JE dont elle ne peut accoucher.
Elle voudrait être JE et pouvoir déguster ici et maintenant, cette première gorgée en paix. Alors Elle fait quelque chose d'extraordinaire. Elle s'arrête de vaquer. Elle soulève la couverture et disparaît .
Rencontre avec "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" de Philippe DELERM Ed L'Arpenteur

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