... et moi j'écrase mes mots humides

dans le cendrier d'un bleu acharné
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extrait de : "J'écrase" dans La Nuit Remuée

par EZ

lundi 15 mars 2010

Dé-penser : interview de Gisèle BERKMAN

Marianne2, avec France Culture, présente une série d’entretiens d’Antoine Mercier avec divers intellectuels sur la crise économique. Cette semaine Gisèle Berkman, directrice de programme au collège international de philosophie. Elle revient sur le déclin de l'intellect dans la société de consommation.



Antoine Mercier : Vous vous situez aux confins de trois institutions : l’école, l’université et le Collège international de philosophie. Ce sont trois lieux d’observation à partir desquels vous portez un diagnostic. Vous parlez d’une crise de la notion même d’humanité. Comment la définir ?
Gisèle Berkman : Je commencerais par partir de l’étymologie de ce terme de crise qui vient du grec « krinein », juger. Finalement, la crise, depuis les Lumières, c’est l’événement potentiellement catastrophique mais qui appelle un jugement, qui appelle une évaluation critique, qui appelle comme une sorte de pesée, une prise en considération.

La crise que nous vivons aujourd’hui, crise économique, crise politique, je la vois au niveau de la recherche, du savoir et plus globalement, je la vois au niveau du rapport à la pensée, à la pensée critique, au fait que, si je puis utiliser ce néologisme, ça « dé-pense », à mesure même de ce que cela dépense sur le plan économique. Je vais citer des discours que l’on entend un peu partout : « les gens ne veulent plus se prendre la tête », il y a des choses qui sont « trop prise-de-tête ».

J’ai des élèves qui ont peur en classe - ils me l’ont dit - d’être pris pour des « intellos », terme qui est devenu quasiment une sorte d’injure, qui désigne finalement un individu qui fait peur. Dois-je rappeler certains discours de notre chef de l’État sur le fait que « La Princesse de Clèves, d’accord mais pas dans un concours de postiers ? »

Dois-je rappeler le discours de la ministre Christine Lagarde disant justement qu’en France on avait toute une tradition de réflexion - elle n’a pas dit « une réflexion prise de tête » mais bon – et que « maintenant il suffit de penser, il s’agit à présent de se retrousser les manches et de passer à l’action » ? C’est un peu comme si la pensée avait perdu son crédit. J’aimerais bien employer ce terme de crédit dans tous les sens du terme parce que les crédits matériels alloués à la pensée fondent comme neige au soleil. Je devrais dire les crédits alloués à la culture, mais cela revient au même. Les crédits fondent à mesure même de ce que le crédit s’amoindrit. Et ça, cela me paraît un problème extrêmement grave.

Retrouver l'idéologie

Antoine Mercier : Le système actuel veut-il combattre les possibilités de penser ?

Gisèle Berkman : Quand vous dites système actuel, moi, il y a un mot que j’aimerais utiliser, un mot que l’on n’entend plus, comme s’il était frappé d’interdit, qui est le terme « idéologie ». Ce fameux terme d’idéologie, on ne l’emploie plus mais il me semble qu’il est d’autant plus agissant qu’on l’occulte, qu’on l’évite. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une volonté consciente, de manipulation, d’une grande action de grand empire paranoïaque.

Non, je pense qu’il y a une idéologie actuelle qui serait à analyser de façon extrêmement précise en dissociant les différentes instances qui sont à l’œuvre. Je pense qu’une certaine conception de la mondialisation, en tant qu’elle nous submerge à tous instants de flux, est bien évidemment à mettre en cause. Je pense qu’au-delà de la mondialisation il y a justement ce que l’on pourrait appeler un « double bind », c’est-à-dire une double injonction contradictoire qui se présente aux gens à chaque fois entre se connecter à toute force et essayer de s’individuer quand même et de rester soi.

Pris dans cette espèce de pince, d’injonction contradictoire, les sujets sont bien souvent contraints, comme je le disais tout à l’heure, à dé-penser. Et puis penser, c’est fatiguant alors que dans l’idéologie actuelle, il s’agit d’être efficace, opératoire, compétitif, performant, termes qui pour moi sont aux antipodes de ce que l’activité de penser veut dire.

Antoine Mercier : Est-ce que vous pouvez nous dire ce qui disparaît concrètement quand on ne pense plus, ce à quoi on n’a plus accès ?

Gisèle Berkman : La question du temps est absolument fondamentale. C’est Rimbaud qui dans une lettre à sa mère disait : « J’ai besoin de larges tranches de temps », expression que je trouve absolument magnifique. Justement, c’est la question du temps qui est au centre aujourd’hui. À l’ère du « travaillez plus pour gagner plus », slogan dont on a vu  apparaître si ce n’est l’absurdité, tout du moins l’inefficacité pratique, la pensée, l’activité de penser, chez tout sujet émarge à une forme de gratuité intrinsèque. Elle relève d’un temps psychique qui ne saurait se quantifier.

Moi, j’ai envie de dire que l’activité de la pensée c’est son « je » assumé avec sa libre passivité. C’est Nietzsche qui disait: « Les pensée importantes viennent sur les pattes de colombes », mais pour les laisser venir sur des pattes de colombes – si belle image- il faut justement qu’il y ait une réceptivité psychique chez les individus.

On pourrait peut-être envisager cette perte de crédit de la pensée en lien justement avec une crise du symbolique. J’insiste sur le fait qu’au plus haut degré de l’État, puisque l’État a bien rapport au symbolique, il n’y a plus incarnation d’un rapport à la pensée, au contraire, la pensée, la culture, les humanités se voient bafouées ou alors elles se voient encensées dans une espèce de faux discours mais au total, je le répète, pas de La Princesse de Clèves pour des postiers dont ce n’est pas l’usage.

Antoine Mercier : Cette situation de crise est peut-être aussi en train de solliciter à nouveau la pensée…

Gisèle Berkman : Je pense qu’il y a un prodigieux désir de penser chez des individus. C’est quelque chose que j’observe lors du séminaire que je mène au Collège de philo, précisément sur l’activité de penser. Je peux vous dire que je rencontre à chaque séance des sujets qui ont envie de penser, qui ont envie d’apprendre, qui ont envie de s’individuer dans la pensée. Je ne suis pas du tout pessimiste, bien au contraire, simplement, je pense qu’il nous faut des lieux, du temps et il nous faut nous organiser.

À mon sens, il n’y a pas de pensée sans ce que Blanchot appelait, expression que je trouve superbe, « un communisme de pensée », c’est-à-dire qu’il s’agit de refaire du « commun », de refaire de « l’avec ». Et quand je dis de « l’avec », cela ne veut pas dire de la fusion identifiante, cela veut dire du partage, cela veut dire retrouver un ensemble. Je pense que les individus sont prêts. Mais peut-être manque-t-il simplement à beaucoup d’entre eux le fait de s’autoriser même à se dire qu’ils y sont prêts.

Penser, c'est se mettre en marche

Antoine Mercier : J’ai envie de reformuler la question le plus simplement possible : qu’est-ce que penser ?

Gisèle Berkman : Question redoutable et massive mais absolument indispensable que la question que vous venez de me poser. Qu’est-ce que penser ? J’aurais envie de repartir du texte de Kant qui est absolument fondamental, Kant se demandant : « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? ». De façon absolument extraordinaire, dans ce petit texte qu’il a voulu très accessible, compréhensible par tous publics, il définit la pensée comme une orientation, une marche, un mouvement. Pour moi, penser ce n’est pas forcément abstraire mais se mettre en marche, se mouvoir, se mettre en mouvement, chercher sa propre orientation…

Antoine Mercier
 : C’est-à-dire se transformer aussi parce qu’on passe d’un endroit à un autre par le mouvement.

Gisèle Berkman : Absolument. Se transformer à mesure même de ce que l’on se déplace. Pour moi, il n’y a pas de pensée au sens aigu du terme, au sens actif, au sens opératoire du terme, sans déplacement, sans possibilité justement d’un espace entre, d’une circulation entre.

Du coup, si l’activité de penser me semble en crise aujourd’hui de façon massive, c’est peut-être aussi parce que beaucoup de gens n’osent plus, n’arrivent pas, ne conçoivent même pas que penser puisse être se déplacer. Je le vois, par exemple, avec les élèves que j’ai. Je ne dirai jamais : « ils n’arrivent pas à penser », ce serait un mépris absolument insondable, en revanche, ce que j’observe c’est qu’ils ont du mal non pas à penser mais à construire leur pensée, parce que construire c’est articuler, relier, c’est se déplacer, c’est-à-dire se mouvoir dans sa propre pensée en acceptant de s’y transformer comme dans un espace physique.

Mais pour ça, il faut investir de façon quasiment libidinale ce que c’est qu’un espace de penser, ce que c’est qu’un plaisir d’inventer et de se surprendre dans la pensée. Pour ça, il faut s’autoriser. Pour s’autoriser, il faut penser que l’on peut à un moment donné sortir du cadre qui nous est assigné.

Antoine Mercier : Dans notre société où les voyages sont très faciles, où l’on va très vite, il y a une forme d’immobilité de l’individu, notamment par les écrans, qui est assez frappante, et le rapport que l’on peut avoir à l’écran, c’est un peu le contraire du déplacement. C’est le déplacement artificiel ou le déplacement par clics de souris interposé.

Gisèle Berkman : Absolument. Que se passe-t-il aujourd’hui dans cette espèce de nouveau paradigme que nous vivons et que nous avons sans doute à essayer de penser mieux ? Effectivement, dans ce monde de l’écran, dans ce monde du clic, je peux penser qu’effectivement en un clic de souris je me déplace et en même temps je ne suis qu’un opérateur.

C’est-à-dire que je ne suis pas un penseur libre, un sujet libre, je suis assujetti d’une part à la manipulation qui fait de moi aussi un instrument de la machine et par ailleurs, je suis envahi par ce flux d’informations qui m’arrive à toute seconde dont on pourrait penser qu’il constitue une espèce d’expansion et de démultiplication vertigineuse de l’espace public des Lumières.

Or ce n’est pas le cas parce que face à ce flux qui me sidère, me traverse à chaque instant, il faut bien qu’à un moment donné, je m’extirpe, que je suspende le flux. Comment penser suspendre le flux ? Comment se donner ce temps de la suspension, ce temps du pas de côté qui est aussi le temps du regard critique ?

Antoine Mercier : J’imagine que quand la pensée disparaît on devient plus interchangeable. Est-ce que vous pouvez nous parler de la pensée en tant qu’elle est en rapport direct avec la constitution de la singularité du sujet ?

Gisèle Berkman : Effectivement, comme vous le dites, penser c’est être un sujet, tout en sachant qu’être un sujet ce n’est jamais réaliser une essence pleine et entière qui serait celle d’une subjectivation enfin accomplie.

Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est que l’on a de plus en plus des individus qui perdent bien souvent la notion de l’intérêt général, qui sont attachés à la satisfaction de leurs besoins individuels et des individus qui sont assujettis à une sorte de nouvelles rationalités qui fait d’eux des individus efficaces, des gestionnaires, des prestataires de services.

J’aurais envie de distinguer l’individu d’un côté et le sujet de l’autre mais en disant cela, j’insiste, quand je dis sujet, je dis aussi sujet qui aurait rapport à son propre impensé, sujet qui ne négligerait pas pour autant le rapport à l’inconscient, sujet qui ne se penserait pas sujet maître, sujet souverain, mais déjà en mouvement vers sa propre subjectivation dans la pensée toujours en voie de réalisation mais jamais achevée.

Antoine Mercier : On retrouve cette notion de mouvement dont vous parliez tout à l’heure. Si l’on peut revenir à notre monde en crise, il se répand l’idée que l’on n’a plus de prise sur le devenir du monde commun. La crise est donc bien dans les têtes…

Gisèle Berkman : Oui, c’est quelque chose qui me frappe beaucoup dans ce nouvel ordre mondial. On constate comme une naturalisation d’un nouvel ordre. Il y a une expression que Montesquieu, au XVIIIe siècle, employait dans un tout autre sens, qui est l’expression de « force des choses ».

Et, je suis extrêmement frappée d’entendre à quel point c’est devenu comme une sorte de mantra, comme si le nouvel ordre mondial, comme si la nouvelle disposition de l’univers globalisé, recélait une sorte de force des choses à l’œuvre contre laquelle on ne pourrait rien, peut-être un petit peu de régulation vertueuse, un petit peu d’État que l’on injecte par-ci par-là, mais globalement il y a un fatalisme absolument extraordinaire devant un processus dont on oubli qu’on en fournit une interprétation.

On n’est pas face au processus tel quel, nous sommes face à une doxa et cette doxa produit de la naturalisation. Je me demande même, à propos de ce nouvel ordre mondial dont on nous rebat les oreilles en nous faisant croire à chaque moment qu’il n’y a rien à faire, si finalement le vieux couple entre « nature et culture », qui était le vieux couple classique qui organisait notre rationalité n’est pas en train de fusionner.

Nous sommes actuellement dans un écrasement vertigineux de ce couple ou « nature et culture » ou « physis et techné » se replierait l’un sur l’autre avec d’un côté une naturalisation vertigineuse, - pour moi, l’exemple, c’est la naturalisation des rapports de force, des rapports de concurrence, comme si l’on était finalement dans « le Léviathan de Hobbes » mais de nos jours – et de l’autre une technicisation intégrale, par exemple les utérus artificiels. Finalement, c’est comme si nature et technique s’étaient repliés l’un sur l’autre, comme s’il n’y avait plus rien à penser que cette nouvelle doxa, ce nouvel ordre.

Antoine Mercier : Vous parliez de la force des choses. La crise n’est-elle pas le moment où le triomphe de la force des choses commence à faire problème pour l’existence elle-même ?`
Gisèle Berkman : Vous avez raison, toute la question, je pense, est de savoir ce que l’on appelle crise. Toute la question serait peut-être de dater le phénomène. Souvent, en m’interrogeant sur ce qui est en train de nous arriver dans la pensée, je me dis que finalement, c’est un peu comme si nous voyions aujourd’hui la face émergée de l’iceberg alors que le processus était déjà à l’œuvre depuis les années 90 seulement il était latent, on ne pouvait pas encore le discerner, pour reprendre justement l’étymologie de krinein, du estimer, du juger. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, ce que nous appelons crise, c’est la manifestation déjà d’un phénomène économique, politique, social, culturel dont la face émergée arrive comme une banquise qui se mettrait à craquer.

Antoine Mercier :
Pourquoi partir des années 90 ? On a le sentiment que l’origine de l’idéologie que vous décrivez est plus ancienne…
Gisèle Berkman : Les questions de datation sont toujours pour moi très complexes. Je pense que l’archéologie que l’on peut faire du processus n’est jamais univoque, il y a toujours plusieurs modèles possibles. Ce qui me frappe dans le domaine de la pensée, dans le domaine culturel envisagé largement, c’est qu’aujourd’hui on solde les comptes de ce que l’on appelle, de façon méprisante et absurde, « la pensée 68 ». Pensée qui, pour moi, était extraordinairement féconde, prodigieusement active et résistante, que cela soit celle de Foucault, de Derrida, de Nancy et j’ai envie d’ajouter également la pensée de Sartre.

Et s’il faut dater l’érosion, moi j’ai envie de parler en termes d’érosion, peut-être qu’elle était là, en creux déjà dès les années 80 simplement, nous ne la voyions pas et aujourd’hui dans le domaine de la pensée, les penseurs médiatiques que l’on entend sont précisément des penseurs qui adhèrent à cet ordre des choses dont nous parlions tout à l’heure. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de penseurs, cela veut dire que les penseurs que l’on entend se situent dans un consensus ambiant qui décline toute la palette, qui à mon sens est très large et très complexe, de ce que l’on pourrait appeler le néolibéralisme.

Antoine Mercier : Vous dites qu’il y a des gens qui réfléchissent mais il est vrai que cela ne passe pas si facilement que ça la barre du discours public médiatique. Là aussi il y a une résistance.
Gisèle Berkman : Je pense qu’il y a une sorte de nouvelle police du langage. Il y a une chasse au langage complexe et par voie de conséquence à la pensée complexe elle-même. Dès qu’un texte est trop compliqué on sait qu’il passera moins facilement dans tel ou tel organe de presse etc., dès qu’un texte n’entre pas - que cela soit un texte de création littéraire ou un texte de pensée – dans les canons d’une certaine écriture et pensée linguiste, on sait qu’il aura beaucoup plus de mal tout simplement à trouver sa voie auprès d’un éditeur.

C’est une question de critères auxquels nous finissons nous-mêmes par souscrire. Je crois qu’il faut sortir justement de cette langue du système et de l’erreur, de l’aporie dans lequel le système se met lui-même. Je crois que certains pouvoirs médiatiques ou hauts lieux culturels se trompent intégralement lorsqu’ils pensent justement qu’il faut donner au public ce qu’il attend, qu’il faut lui donner les choses les plus simples possibles parce qu’à ce compte-là, on retombe sur les propos de Patrick Le Lay, prétendant « vendre à Coca Cola le temps de cerveau disponible du public ».

C’était pour moi un moment clef, « le temps de cerveau disponible ». Je pense que beaucoup de gens sont prêts aujourd’hui à entendre autre chose, à penser ailleurs et autrement et à pratiquer ce que Jean-Luc Nancy, dans un livre que j’aime beaucoup, appelle « la déclosion », c’est-à-dire le fait de rouvrir la raison et enrichir cet entendement d’aujourd’hui qui s’est si prodigieusement appauvri en calcul, en ratio, en comptage. Sortir du comptage pour réouvrir.

Antoine Mercier : Comment caractérisez-vous la  langue utilisée pour masquer cette ouverture ?
Gisèle Berkman : Cette langue, j’aurais envie de la comparer à la fameuse « Novlangue » dont parle Georges Orwell dans 1984 de façon absolument prophétique. Sans tomber dans la paranoïa, je dirais que nous sommes aujourd’hui environnés d’un langage qui fait écran, qui fait barrière, d’une langue qui se veut elle-même vertueuse.

Lorsque le chef de l’État donne des conseils aux enseignants, il nous parle lui-même des humanités alors qu’au niveau de l’enseignement nous savons très bien que le crédit matériel accordé à ces humanités ne cesse de baisser. Donc, nous avons une langue qui sert de cache et une langue dont il serait très intéressant de se demander dans quelle mesure elle emprunte justement à tout un vocabulaire managérial, tout un vocabulaire du management.

Justement le livre de Dardot et Laval montre très bien, la façon dont on reprend tout un ensemble de vocable sur la performance, la gestion, la pseudo rationalité, comment tout cela est repris au vocabulaire de l’entreprise qui lui-même parfois ne dédaigne pas d’emprunter ses vocables à une forme de psychologie, une forme d’économie mais douce, des affectes, bien sûr on ne veut pas de la psychanalyse mais on veut bien d’une certaine vulgate psychologique.

Antoine Mercier : Comment se remettre en mouvement ?
Gisèle Berkman : Me vient un vers de Hôlderlin, que j’aime beaucoup : « Là où est le danger, croît aussi ce qui sauve ». Comment se désenglue-t-on ? Je pense que c’est en essayant de réactiver en commun un pouvoir critique de la pensée, en essayant de déconstruire, pour reprendre le terme fameux de Jacques Derrida, c’est-à-dire d’analyser ce qui nous arrive. Analyser, c’est-à-dire peser, prendre en compte, évaluer le phénomène, non pas évaluer dans une compétition du style classement de Shanghai, mais soupeser ce qui nous arrive.

Je crois qu’aujourd’hui il y a un certain nombre de gens dans l’enseignement, la création, dans divers domaines, qui ont très à cœur, seuls et à plusieurs, d’entreprendre ce travail de conscience, regarder ce qui nous arrive pour mieux le relancer au-delà de lui-même. Je suis très frappée de voir comment certains collectifs, comme le collectif de la nuit sécuritaire, en certains lieux, s’organisent, réactivent ce mot très beau, qui est le mot de résistance.

Gisèle Berkman est une philosophe française, directrice du Collège international de Philosophie

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